France Antilles :
Monsieur le président de l’union des métiers des industries touristiques (UMIH) de
Guadeloupe, depuis le depuis le début de cette crise sanitaire, on ne vous a pas beaucoup
entendu.
Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de la situation chez nous alors que le ministre des
Outre-mer Monsieur LECORNU est passé en Guadeloupe en déclarant que la reprise
épidémique nécessitait l’application de mesures comportementales et de fonctionnement
beaucoup plus strictes.
NV
1. Vous ne m’avez pas beaucoup entendu car dans les situations difficiles, il faut savoir
écouter, réfléchir, et éviter toute impulsivité dans les appréciations que l’on peut ressentir.
2. Par ailleurs, vous m’interpellez à deux titres et non à un seul, car le Président de l’UMIH
que je suis peut avoir une appréciation de la situation qui ne soit pas obligatoirement
partagée par tous ses adhérents, il faut donc faire la part des choses entre ce que je pense,
qui peut-être ou non partagé par nos adhérents, mais qui est d’abord ce que je pense tant
qu’une décision prise majoritairement en assemblée générale n’a pas fait l’objet d’une
décision collective.
3. Il y a le temps de la réflexion, et le temps de l’expression doit respecter ma fonction. Je
m’explique :
Dès le début de la crise sanitaire, en mars 2020, M. Alexandre de JURNIAC, Président
de l’association IATA qui regroupe 80 % des compagnies aériennes mondiales, déclarait
que nous ne connaitrions pas une reprise normale du trafic aérien mondial avant 2024
avec un déplacement du trafic aérien de l’atlantique vers l’Asie.
Je partageais cette analyse.
Ce n’était pas l’opinion de tous les adhérents de l’UMIH, dont certains considéraient que
ce n’était qu’une petite grippe qui serait vite oubliée d’ici 3 mois.
Le Gouvernement lui-même n’a-t-il pas mis en place un Prêt Garanti par l’État (PGE)
d’un montant égal au quart du CA annuel des entreprises, confortant cette analyse d’une
crise passagère de 3 mois.
Si je m’étais exprimé au deuxième trimestre 2020, j’aurais pu froisser des adhérents qui
m’auraient jugé pessimiste. Mon analyse était la bonne, et pourtant je n’ai pas à en être
satisfait.
4. J’ajoute que nous sommes 66 Millions de Français et que je me demande parfois s’il n’y
a pas 66 Millions de décideurs tant il y a de gens à s’exprimer dans le bruit et la fureur
comme aurait dit Faulkner.
5. Vous m’interviewez, et je vous explique pourquoi l’on m’a peu entendu.
6. Autre exemple : dès le début de la crise, en tant que Président, je n’étais pas favorable
aux mesures que mettait en place peu à peu le gouvernement : PGE, chômage partiel,
fonds de solidarité, baisse de charges …
J’estimais d’une part, que c’était une usine à gaz, et que d’autre part, il fallait laisser à
chacun ses responsabilités, c’est-à-dire laisser à l’État la gestion collective et laisser aux
entrepreneurs leurs entières responsabilités de gestion privée (chacun chez soi et les
poules seront bien gardées).
Il m’était difficile de m’exprimer sur le sujet, car beaucoup ont accepté l’offre et se sont
précipités sur le PGE.
Aujourd’hui, la crise a dépassé les 3 mois, et nous en sommes à 17. Beaucoup ont dépensé
leur PGE et se trouvent en difficulté avec une trésorerie nulle et un endettement qu’il
faudra rembourser un jour avec les intérêts. Le choix gouvernemental qui a été fait
s’apparente, et c’est une image, aux prémices d’un interventionnisme inapproprié de
l’État dans le Capital de sociétés privées, comme d’une mini nationalisation. Je ne partage
pas ce choix. Surtout, et c’est une image connue, quand l’action de l’État vise à
nationaliser les pertes et privatiser les gains.
Je souhaitais que l’on laisse aux entrepreneurs la pleine responsabilité de gestion vis-àvis
de leurs charges et de leurs personnels, mais qu’en contrepartie du préjudice créé le
17 mars 2020, en vidant unilatéralement, par décision administrative du plus haut niveau,
nos entreprises de leurs clients, celles-ci soient indemnisées sur le fondamental
économique de l’entreprise qui est le Bilan et le compte de résultat.
Ainsi, il n’y aurait pas eu de PGE et sa cohorte de mesures qui n’ont pas été accessibles
à tous, créant des inégalités de traitement, et les entreprises auraient reçues une
compensation économique sur la base de leurs pertes d’exploitations, à une certaine
hauteur, comme l’avait fait précédemment un gouvernement, et sans difficulté, lors de la
crise du chikungunya à l’île de la Réunion, en 2005/2006.
La gestion de l’appareil d’État en aurait été grandement simplifiée, et la gestion des
entreprises beaucoup plus saine car non dépendante de mesures discutables, comme par
exemple de faire au moins 1 million d’€ de CA mensuel pour pouvoir prétendre à l’aide
dénommée « coûts fixes » accordée aux entreprises de la montagne.
Je souligne qu’il ne relevait pas, selon moi, de la mission de l’État de faire croire au
monde salarial qu’il était pris en charge par l’État, car beaucoup de salariés n’ont pas
compris qu’en réalité ils continuaient d’être payés par leur entreprise qui recevait une aide
compensatoire. Aujourd’hui, des salariés sont inquiets de droits à la retraite réels résultant
de cette crise, car certains ont eu des baisses de rémunérations résultant d’un temps de
travail moindre ou de perte de prime de productivité ou d’intéressement.
7. Aujourd’hui vous me demandez mon appréciation sur les mesures d’urgence sanitaire, de
confinement, de couvre-feu, la fermeture d’entreprises, les exigences de passeport
sanitaire, etc …
Tout d’abord je suis un Républicain respectueux des instances gouvernantes. À ce titre je
déplore toute désobéissance civile. On peut s’exprimer comme je le fais en ce moment
sans prendre en otage une population et ajouter des difficultés aux difficultés et en
bloquant le fonctionnement de la société ou en le dégradant.
8. En revanche, au nom de la profession des CHRD (Cafés, hôtels, restaurants,
discothèques), s’il est de mon devoir de demander aux adhérents de l’UMIH de se
conformer aux prescriptions administratives, il est aussi dans ma mission de protéger la
survie des entreprises et de leurs emplois et de demander, au regard de ces décisions de
fermeture et d’interdiction de travailler, quelles sont les mesures financières et sociales
envisagées pour permettre de sauvegarder les emplois à long terme, et donc aux
entreprises de survivre.
9. En 2019, la Guadeloupe a accueilli un peu plus de 1 million de visiteurs, Hommes
d’affaires, Touristes et Affinitaires. L’apport financier de ces visiteurs exogènes est
estimé à 1 milliard d’euros, qui ont ruisselé dans l’économie, comme la boule de neige,
car 100 € apportés directement à un hébergement vont ruisseler ensuite sur l’agriculture,
la pêche, les loueurs de voitures, le commerce et toutes les activités de la société
sollicitées par nos visiteurs.
En 2021, chacun a pu apprécier à sa mesure, combien cet apport financier exogène a
manqué à la Guadeloupe et à son économie dans l’ensemble.
La Guadeloupe a besoin de ce tourisme exogène, peut-être plus fortement que d’autres
destinations mondiales compte-tenu de ce que l’on appelle le produit intérieur brut
régional, ou pour parler plus simplement du niveau de pouvoir d’achat de chaque habitant.
Mais au-delà de cet aspect financier, le tourisme c’est aussi l’ouverture sur les autres c’est
une meilleure compréhension entre les peuples, l’approche d’autres cultures permettant
de balayer les idées préconçues, c’est un vecteur de tolérance et de paix.
Actuellement, la Guadeloupe est secouée par de fortes turbulences.
Des affrontements se font jour, entre les partisans du vaccin et les opposants. Parmi les
partisans, il y a ceux qui sont convaincus, avec ou sans arguments étayés, que les
scientifiques du médical ont raison, quand bien même diverses tendances divergentes
s’affrontent parmi eux. Il y a également ceux qui espèrent en obtenir un intérêt rapide…
Parmi les opposants, il y a ceux qui sont convaincus de son peu d’efficience, et aussi ceux
qui sont inquiets, parfois jusqu’à la peur irraisonnée. Et puis il y a des indécis qui
cherchent à comprendre et qui hésitent.
Ce qui me semble regrettable, c’est de constater les divisions qui sont en train de prospérer
dans notre société, certains cherchant, probablement par faiblesse psychique, un bouc
émissaire aux problèmes présents. J’ai ainsi pu lire que : « il faut s’interroger localement
sur la cupidité de certains hôteliers qui ont mis la santé des Guadeloupéens au second
plan pour gagner de l’argent (tourisme oblige) ». Est-il convenable, est-il acceptable, de
rejeter la faute du drame sur l’hôtelier, les meublés de tourisme, l’affinitaire, et pourquoi
pas la Préfecture qui aurait laissée prospérer le Virus ? Soyons raisonnable, ce n’est pas
digne de nous. Dans la tourmente nous devons être compatissants et soudés.
La recherche de la vérité, le dialogue, l’échange d’opinion, sont louables, propices au
respect mutuel, à la tolérance et à l’empathie. Cependant, comme les langues d’Ésope,
loin d’être la meilleure des choses, cela peut devenir la pire, quand sont sous-jacents les
a priori qui rendent sourd à l’écoute de l’autre, intolérants, et qui échauffent exagérément
les passions.
Ce débat sur la vaccination nous semble inutilement déchirant, dans la mesure où il relève
d’un choix strictement individuel, chacun étant libre de son corps. Il ne mérite donc pas
un débat collectif, tant que la gouvernance représentative du peuple n’a pas décidé,
comme elle l’a fait en d’autres temps, pour la poliomyélite par exemple, d’imposer un
vaccin ayant produit dans le temps, la preuve d’une efficacité majeure dans l’intérêt
collectif.
Ce débat est aussi sclérosant dans la mesure où il polarise beaucoup trop les attentions du
plus grand nombre sur une situation conjoncturelle, en occultant tous les autres sujets qui
devraient prioritairement nous préoccuper, comme l’accès sans restriction à une eau
potable, l’assainissement, une moins grande dépendance alimentaire, énergétique, l’accès
au logement, de meilleurs revenus, le climat, etc …
La crise actuelle est conjoncturelle. Les habitants des Antilles par le passé, et jusqu’ici,
ont montré qu’ils étaient capables d’affronter avec courage et dignité les épreuves et de
les surmonter, et quand il fallait rebâtir, ils ont rebâti.
La situation actuelle n’est qu’une épreuve de plus qui sera surmontée, mais qui ne doit
pas nous faire oublier l’essentiel : LA SOLIDARITE.
Ce n’est pas lorsque le bateau est dans les turbulences que les marins doivent se
chamailler et se comporter de façon discordante : les efforts de chacun doivent être tendus
vers un seul objectif, sortir de la tourmente pour poursuivre la route vers la destinationobjectif.
Ce n’est pas quand le bateau a une voie d’eau qu’il faut se mutiner : il faut plutôt écoper.
Écoper comment ? en ayant foi en notre destin de bâtisseur dans les Antilles.
L’objectif, c’est de réaliser pour nos enfants et nos descendants, mieux qu’aujourd’hui,
car chacun de nous n’est que le maillon, fort ou faible, d’une longue chaîne pour laquelle
seul L’ESPOIR est permis.
Dans l’Hexagone de l’archipel France, qui apporte à la Guadeloupe 80 % de nos visiteurs
et 1 milliard d’euros, on parle beaucoup de nous. Devons-nous nous en réjouir ?
D’après ce qui est montré du doigt, Non !
Il est disserté beaucoup trop abondamment, sur les coupures d’eau, les tours d’eau,
l’incendie du CHU, l’insécurité, les mouvements de contestation, les entraves diverses à
la vie civile et communautaire, les obstructions communales ou routières, l’arrivée des
sargasses, le chlordécone, et j’en passe. Images d’une destination peu attrayante.
Nous savons, et nous le constatons bien avec les reportages nombreux sur les incendies
de Californie, de Chypre à la Grèce et à la Turquie que l’information pour frapper
l’opinion publique, a tendance à se vouloir percutante.
Mais les Antilles ne peuvent pas accepter qu’on donne d’elles l’image d’un enfer, il faut
rétablir la vérité et montrer ce qu’elles sont en vérité : un paradis, certes à parfaire, mais
pas un enfer, une terre d’accueil, et non un repoussoir.
Si nous voulons atteindre notre objectif d’un avenir meilleur, ne devons-nous pas, par un
comportement exemplaire, donner une image accueillante, chaleureuse, qui donne aux
autres l’envie de nous rencontrer et de nous mieux connaître ?
Nous savons tous que les tâches ne manquent pas, et que la besogne ne peut pas nous
effrayer, car l’oeuvre n’est jamais achevée …
Ce n’est pas par la force et la violence qu’on réalise de grandes oeuvres, mais par la
persévérance et la ténacité qui devraient nous conduire à créer les conditions pour que
naisse une nouvelle génération d’entrepreneurs guadeloupéens dans les industries
touristiques des îles de Guadeloupe.
10. Les industries touristiques ne se résument pas à l’hôtellerie ou à la location meublée : ceci
est une vision du 19ème siècle ! Les industries touristiques représentent un éco-système
extrêmement large, l’artisan chocolatier innovant, le rhumier de talent, l’informaticien, le
spécialiste du marketing numérique, le pêcheur, le moniteur de surf, le journaliste, le
restaurateur, l’agriculteur, les grossistes, le bâtiment, les grandes surfaces de bricolages,
les distributeurs d’automobile, les musiciens, les services publics, le port, les juges, etc,
etc, tous les salariés et travailleurs indépendants, tous dépendent en Guadeloupe peu ou
prou de la performance des industries touristiques.
A Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, ou aux Saintes, qui ne dépend pas du tourisme ?
Personne. Pas même les fonctionnaires. Et pourtant, tous ne travaillent pas directement
pour les industries touristiques : mais ils en dépendent. Bien sûr, la Guadeloupe
continentale bénéficie de sa condition de pôle administratif central qui lui assure la
garantie privilégiée d’emplois publics nombreux, mais la courbe de vieillissement et
de décroissance de la population est une menace très sérieuse pour les emplois de la
fonction publique, qui suivront cette décroissance de la population. Il faut à tout prix
inverser cette tendance mortifère par une politique hyper dynamique de constitution d’une
nouvelle génération d’entrepreneurs guadeloupéens.
11. Les industries touristiques servent avant tout à la qualité de vie des Guadeloupéens. Qui
bénéficie toute l’année des améliorations de l’environnement, des rues piétonnes, des
pistes cyclables, des bateaux de liaison avec les îles périphériques, de la baisse des prix
de l’aérien, de la baisse des prix des hébergements, de la multiplication des services
privés, bars, restaurants, services sportifs ? Les Guadeloupéens, d’abord !
12. Ce n’est pas aux pouvoirs publics qu’il revient la tâche de créer cette nouvelle
génération d’entrepreneurs guadeloupéens : ce n’est ni leur métier, ni leur vocation.
C’est aux professionnels, qui se sentent concernés par cette préoccupation d’avenir, de
tracer la voie qui leur semble la plus adaptée.
Sans la participation effective et paritaire des professionnels, les politiques menées sont
vaines et illusoires.
Pour autant, l’intervention des pouvoirs publics, dans le domaine des industries
touristiques, est fondamentale et essentielle. Sans donner mille exemples : tous les sujets
législatifs, fonciers, d’aménagements des espaces publics, de définition des espaces
préservés et des espaces publics, des P.L.U., des budgets d’investissements dans les
travaux publics, ne sont maîtrisés que par les pouvoirs publics. Les professionnels n’ont
aucune capacité d’influence sur ces sujets, et c’est une raison majeure d’oeuvrer
ensemble. Le temps est venu de la lucidité et de la stratégie.
Les meilleurs jeunes Guadeloupéens quittent jusqu’à aujourd’hui la Guadeloupe pour
mener une carrière souvent brillante en dehors de leur territoire de naissance. Il faut leur
créer les conditions pour qu’ils considèrent que leur avenir professionnel se situe en
Guadeloupe : voilà un objectif aussi sain qu’ambitieux.
13. Pour conclure, « Ne laissez personne, personne, vous persuader que le monde est ainsi
fait et que, par conséquent, c'est ainsi qu'il doit être ». (Toni Morrison).
Nelson Mandela disait : « Laisse tes rêves changer la réalité......mais ne laisse pas la
réalité changer tes rêves ...
La Guadeloupe, les Antilles ne méritent pas qu’on se chamaille : Osons la Rêver encore
plus belle, encore mieux équipée, plus riche et plus heureuse.
Le Président de l’UMIH Guadeloupe,
Le 13 Août 2021
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